Médias sociaux : Prévisions et stratégie ne font pas bon ménage
Introduction
Ce billet consacré à la stratégie sur les médias sociaux et aux dangers (et l’inutilité ?) de faire des prévisions comporte trois parties :
- La première est quelque peu sarcastique et caustique. Elle moque les personnes qui font des prévisions quant aux évènements qui pourraient se produire dans un domaine pour lequel ils ou elles se définissent comme experts.
- La deuxième est l’exemple d’une prévision pour laquelle les faits ont été à l’opposé de ce qui était prédit. Je n’aime pas nommer quelqu’un quand j’utilise une erreur pour illustrer mon propos mais je vais faire exception dans ce billet. Celui qui s’est trompé n’est autre que Fred Cavazza, expert connu et reconnu. Si je le cite, c’est pour deux raisons, d’une part parce que je sais que mon billet ne lui portera pas atteinte et d’autre part parce qu’il est important de montrer que même ceux qui ont une légitimité peuvent se tromper et s’enfoncer dans leur erreur.
- Enfin, la troisième est ma perception de ce qu’est la stratégie et ce qu’il convient de faire dans la démarche de son élaboration.
1-. Les prévisions
Chaque année, dès le mois de décembre et tout au long du mois de janvier, nous avons droit aux listes de prévisions présentées par les gourous du web.
Pourquoi faire des prévisions ?
Le « prévisonnisme » est une forme de presonal branling. La personne qui en victime pense avoir été dotée d’un esprit supérieur qui lui permet d’atteindre un des plus vieux fantasme de l’homme : deviner l’avenir.
- Le plus souvent le prévisonniste va vous faire une liste de prévisions, en général 10, façon intelligente de diluer le risque. Il suffit de limiter le nombre de risques pris quant à ce qui est énoncé et quoiqu’il arrive le rapport succès/échec sera bon. Si un nombre suffisant des prévisions se sont avérées vraies, nos prévisonnistes vont pouvoir se fendre d’un billet dans lequel ils pourront atteindre le comble de l’autosatisfaction en expliquant à quel point il a été simple pour eux de savoir ce qui allait se passer.
- Dans d’autres cas, le prévisonniste va rédiger une prévision dans laquelle il va faire un argumentaire détaillé des éléments qui l’ont amené à sa conclusion. Cette situation devient plus difficile à gérer en cas d’erreur, si la prévision ne se réalise pas, le réflexe naturel va être de maintenir sa prévision en disant qu’elle va malgré tout se réaliser mais que l’on a simplement eu raison trop tôt. Le prévionniste va se fendre d’un article pour trouver des explications quant au décallage temporel de la réalisation. Parfois cette attitude déni va durer très longtemps. C’est l’instinct de l’homme qui le pousse à agir de la sorte. L’espoir est que finalement l’objet de la prévision se matérialise enfin. Cela ne manquera pas de libérer l’auteur et expert qui pourra alors se vanter de « l’avoir dit » le premier depuis tant de temps.
Pour établir un parallèle avec le trading, un phrase de John Maynard Keynes résume cette attitude : « Le marché peut rester irrationnel plus longtemps que vous ne pouvez rester solvable. »
Le danger de faire des prévisons :
Les prévisions cela pollue l’esprit..
Ceux qui pratiquent le trading le savent.. quand vous avez un trade ouvert, si vous n’avez pas établi un plan en amont, vous perdez toute faculté d’analyse parce que vos émotions vous font perdre votre objectivité. L’être humain est ainsi fait qu’il souhaite avoir RAISON et qu’il supporte mal l’erreur.
Rédiger une prévision pour un expert, c’est s’engager et engager sa réputation. Mais c’est aussi et surtout prendre le risque de devenir borgne. En effet, le prévisionniste va inconsciemment sur-pondérer les informations lui donnant raison et sous-pondérer celles qui lui donnent tort.
Voyons maintenant, l’exemple d’une prévision à propos de Facebook :
2-. Fred Cavazza et Facebook
Le 14 novembre 2007, Fred rédigeait le billet ayant pour titre : Pourquoi je ne crois plus en Facebook
En voici quelques citations :
Facebook est-il révolutionnaire à ce point ? Ce service mérite-t-il une telle attention ? Oui, en partie. Mais sans vouloir lui retirer son indéniable succès et certaines qualités, il y a fort à parier que les annonceurs n’y trouveront qu’un intérêt très relatif.
L’explication est toute simple et peut-être résumée ainsi :
- La croissance et l’audience de Facebook sont largement sur-évaluées ;
- L’écosystème mis en place autour de la Facebook Platform ne tiendra pas ces promesses ;
- Les modèles publicitaires présentés récemment sont bancals ;
- La concurrence avec d’autres plateformes sociales va être très rude.
Donc en un mot comme en cent, malgré l’enthousiasme de son jeune CEO, Facebook ne révolutionne rien du tout.
les chiffres présentés par Facebook sont surtout impressionnants pour ceux qui veulent croire à leur jolie histoire.
ce service est-il suffisamment simple et convivial pour séduire le plus grand nombre ? J’en doute.
Les financiers ne sont pas des imbéciles et je doute fortement qu’ils se laissent séduire par cette belle histoire de jeunes prodiges en tongs Adidas qui s’éclatent à faire des overnight coding sessions.
Oui, j’ai crû au modèle de Facebook. Oui, j’ai bien crû qu’ils pouvaient révolutionner le web social et proposer une approche unifiée. Non, je n’y crois plus car ils vont avoir visiblement beaucoup de problèmes à transformer leurs rêves d’étudiants et réalité économiquement viable.
Fred prend clairement position.. à tort. Vous allez rétorquer que plus de 4 ans après il est facile de dire que les autres avaient tort. L’important n’est pas d’avoir tort ou raison. C’est justement cette approche qui n’est pas pertinente car elle engendre une question d’égo qui fera que l’on accepte difficilement d’avoir tort.
Le 20 avril 2011, F.C. ajoute d’ailleurs en fin de son billet initial qu’il a fait une mise à jour (billet du 9 avril 2011) et reprend la plume (le clavier) pour un billet qui illustre l’attachement qu’à son auteur pour sa prévision initiale. Le billet se décompose en:
- une « auto-critique » en introduction avec un constat sur l’évolution du succès de Facebook
- la justification de l’erreur momentanée par les améliorations de Facebook
- la continuité de la prévision puisque des liens vers 6 articles sont mentionnés
- le retour à la prévision puisque Fred écrit:
« Dès 2007, j’avais identifié un certain nombre de problèmes relatif à Facebook et à la façon dont cette plateforme sociale était gérée. Croyez-le ou non, mais la situation n’a quasiment pas changé ».
- Enfin il conclut avec une pointe d’exaspération:
« cet article rédigé il y a plus 3 ans est maintenant un sujet de critique évident, mais comme le dit le proverbe : la critique est facile, l’art est difficile. Les moqueries diverses qui me sont adressées ne me décourageront donc pas, car j’estime qu’il est important de pouvoir exprimer une opinion divergente. Je rappelle que ces prises de position n’engagent que moi,libre à vous d’écouter l’avis d’agences et de soi-disant experts qui vivent de Facebook et n’ont aucun intérêt à remettre en question la pertinence d’une présence sur cette plateforme sociale. »
3-. Prévisions et stratégie
De plus en plus de personnes parlent de stratégie, je vous propose de partager la vision que j’ai de ce que c’est ou de ce que cela devrait être.
Tout d’abord voyons ce que veut dire le mot stratégie.
- Ethymologie
Son éthymologie est la suivante :du grec stratos qui signifie » armée » et ageîn qui signifie » conduire »
- Définition
Parmi les définitions données par le Larousse, j’ai retenu : « Art de coordonner des actions, de manœuvrer habilement pour atteindre un but ».
- Plus explicite…
Enfin, je vous propose un extrait de la longue explication de techno-science.net : « l’élaboration d’une politique, définie en fonction de ses forces et de ses faiblesses, compte tenu des menaces et des opportunités, dans d’autres domaines que celui de la défense, notamment dans les activités économiques (stratégie commerciale, industrielle, financière etc.) »
Les caractéristiques de votre stratégie :
- Elle doit précéder l’action.
- Elle doit définir tous les champs du possible et attribuer une pondération de réalisation de chacun de ceux-ci.
- Elle doit comporter des alternatives. Différents scénarii ont été établis sur base des données dont nous disposions. Il est important de savoir que faire en cas de survenance d’un scénario envisagé mais qui n’a pas été retenu.
- Elle doit être flexible. Les chances de réalisation de chacune des possibilités évoluent avec le temps. Il convient donc de pouvoir réévaluer ces critères et adapter la stratégie en fonction des nouveaux chiffres.
- Elle ne doit pas comporter de part d’émotion. Le stratège ne doit pas avoir un scénario préféré. Peu importe ce qui se passe, ce qui compte c’est la réalisation des objectifs. Il faut éviter l’implication émotionnelle qui brouille le jugement.
A la vue de cette liste, vous aurez compris que prévisions et stratégie ne font pas bon ménage. En effet, alors que la stratégie demande de la lucidité, lorsque l’on entre dans le domaine de la prévision une implication émotionnelle entre en jeu et fait perdre une partie de notre libre examen.
Faire des prévisions est, à mon avis, un exercice peu utile qui n’a d’autre but que de satisfaire son égo dans les cas où elles s’avèrent justes et qui ne sert à pas grand chose d’autre.
— Posted on février 12, 2012 at 3:50 by Vansnick
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